Le silence et le cri

Texte écrit le 18 mai 2022 en atelier avec Alice Legendre (@alicepostpartum), sur le thème « Le silence et le cri ».

Je suis allongée, terrassée plutôt, sur ce lit trop blanc. J’ai peur de regarder sous le pansement. Je demande, inquiète : « C’est comment ? ». La sage-femme me répond, presque attendrie : « Elle est très belle, on dirait un sourire ! ».

C’était il y a presque un an.

Ce que je veux dire aujourd’hui, c’est : ceci n’est pas un sourire. Non, ce n’est pas un sourire, c’est un rictus, une grimace amère, les tissus raidis qui lancent et démangent. Ce n’est pas un sourire, c’est une bouche mal cousue, cousue bien serrée, d’où ne s’échappera sans doute plus jamais aucun cri.

Ton premier cri, ma fille, il est si flou.

Je dis pudiquement « Elle n’est pas passée », pour dire que tu n’as pas franchi le seuil de mon intimité.

J’y pense souvent.

J’y pense sous la douche, quand ma main savonne la ligne boursouflée. J’y pense quand je m’accorde deux heures pour danser chaque mois, et qu’elle me démange alors que je voudrais qu’elle se taise. J’y pense quand je fais l’amour en silence alors que le souvenir de mes cris continue de me hanter.

Je continue de me doucher, je continue de danser. J’ai arrêté de faire l’amour. C’est trop difficile.

Je ne veux plus y penser. Je ne veux plus penser aux cris. J’ignorais que je pouvais hurler si fort, j’ignorais ce feu dans la gorge sèche qui hurle sans fin et cette sensation d’être écartelée. Trois jours et trois nuits. J’ai tant crié que je me suis vidée de tous mes mots. Il n’y avait plus rien à dire de toute façon. Que la solitude et cette sensation de désastre pendant que l’aiguille refermait ma peau au milieu des bavardages insouciants. J’avais cédé, capitulé. Mes cris indécents avaient enfin laissé la place au silence. Ils avaient l’air soulagés.

Je suis là, aurais-je dû crier. Je suis là, et peut-être aussi, je suis en colère et je vais tout brûler, tous leurs mensonges, je vais brûler tous les livres de Michel Odent et d’Ina May Gaskin. Dieu est mort. Quelque chose s’est tu. Comment dire, à présent ? Je n’aurai plus de voix.