Je me souviens.
À chaque tube terminé, j’avais le sentiment de m’enfoncer dans une spirale d’échec. De nuire à mon bébé. De l’empoisonner.
J’ai gardé chaque tube. Je me suis dit, un jour j’en ferai une photo, pour dire voilà ce que m’a coûté cette grossesse. Si je voulais être exacte, je montrerais aussi les cernes, les vergetures, les seins fanés par l’allaitement, et surtout, surtout, la chéloïde qui défigure mon pubis.
J’aurais aimé qu’on me le dise. Je n’ai pas compris. Personne ne savait me dire autre chose que « Ça va passer » et son pendant « T’as essayé le gingembre ? » (j’oublie volontairement l’odieux « Il paraît que c’est signe d’un rejet inconscient de la maternité »).
Comment fait-on pour vivre quand les nausées sont si intenses qu’on ne peut plus bouger ? Qu’on a besoin d’aide pour se lever, se laver, se faire à manger ?
Comment survit-on à 8 mois de nausées sans y laisser sa santé mentale ?
On plonge, je crois. Moi j’ai plongé. C’était laid, c’était injuste, c’était dur. Je suis restée alitée deux mois dans le silence et j’ai pleuré jour après jour jusqu’à ce que quelqu’un me prenne au sérieux et me prescrive du donormyl.
J’ai pris les médicaments, voilà. C’était tolérable avec les médicaments.
Je pleurais encore, mais pour d’autres raisons. C’était dur, de toute façon. J’avais passé des années à travailler sur mon histoire, et tout ce qui semblait tenir à peu près se cassait la gueule.
« Fragile ». C’est ce qu’a noté la sage-femme sur ses notes d’entretien de début de grossesse. Fragile…
Mon accouchement m’a dévastée mais il a eu le mérite de mettre un terme aux nausées… L’hypersensibilité est restée. Les odeurs. Les odeurs chimiques, parfums, lessives douceâtres, m’envahissent, me font bouillonner. C’est fou ce qu’une odeur peut susciter de colère… Comme ce mot qui revient, et soulève des vagues de rage en moi.
« Fragile », aussi, sur les notes de l’équipe à la maternité, après ma césarienne. Il aurait fallu faire bonne figure et je ne pouvais pas, comme je n’avais pu ignorer les nausées et prétendre que j’étais au sommet du bonheur.
Qui aurait pu ?